Nous nous sommes tant
aimés... ç’aurait pu être le titre d'une œuvre d'Ettore Scola,
ou la préface d'une lettre de rupture. Ou tout simplement les
premières pulsations verbales d'une passion amoureuse qui n'aurait
pas tenu le coup face au tourment des années qui passent. Mais non.
Juste l'histoire d'un film. D'une affiche. Et de ce que l'on
n'appelait à l'époque pas encore un 'teaser'. Une légende
sur laquelle l'on pouvait fantasmer comme devant les photos coquines
d'un mensuel érotique. Le genre à vous laisser des marques
profondes et invisibles à l'âme. A vous rendre aussi dépendant au
visuel fantasmagorique d'une peinture saisissant l'instant I où tout
peut basculer. Comme une image sordide qui sortie de son contexte et
ayant échappé à la censure vous fait imaginer le pire en dégageant
l'hypothèse que tout n'est que fiction.
Le monde, ça y est
enfin, est en proie à un mal qui n'attendra pas des décennies pour
évoquer l'éventualité d'une pandémie. Et pour que s'insinue
profondément dans notre esprit, comme le goudron d'une cigarette se
fixe dans les bronchioles, l'état d'urgence déclaré là-bas mais
qui bientôt viendra frapper à notre porte, rien de mieux qu'une
affiche toute de noire et de blanc vêtue, dégueulant un titre non
pas sanglant, mais davantage cinglant ! Vous frappant au visage,
ou dans les reins, et jaune comme une expectoration pulmonaire. Des
bactéries qui par milliards disséminent leur pouvoir de destruction
parmi une population obéissant bien sagement à des responsables en
combinaisons antivirus.
Une maladie sexuellement transmissible aux conséquences désastreuses et dont la créature protéiforme dévoilait déjà bien avant Ridley Scott, le Chestburster de son mythique Alien. Rage et sa fameuse affiche française. S'adressant directement à nos peurs enfouies. Dévoilant un visuel entièrement dévolu au confinement. Celui des combinaisons citées au dessus. Des lumières éternellement glauques de cet univers souterrain et anxiogène qu'est le métro. De cette esthétique qui colle généralement à la peau du fait-divers même le plus anodin mais dont seuls les plus sordides sont imprimés à jamais dans notre esprit. A l'époque, le papier ne brillait pas avec autant d'éclat qu'aujourd'hui. Les médias n'ayant pas encore l'opportunité de tricher avec nos sens, avec notre perception du vrai et du faux, on ne pouvait qu'y croire. Surtout lorsque l'on n'était qu'un gamin, et que nous n'avions pas de ces fameuses machines qui faisaient entrer le cinéma directement dans notre salon.
L'imaginaire, le mien, je
le faisais travailler parmi les rayons des vidéoclubs. Ces lieux
nouveaux où ne trônaient pas encore ces infâmes DVDs à la tranche
trop fine. A l'époque, on pouvait lire de loin les titres, et déjà
fantasmer sans même avoir encore posé la main sur le boîtier.
Rage, et son agressif point d'exclamation que le
distributeur français de l'époque s'était autorisé à rajouter.
Comme pour mieux attirer l'éventuel client vers ce faux article de
journal mais VRAI monument du septième art. Une œuvre traitée à
l'époque comme l'un de ces vulgaire pornos sur lesquels on ne
pouvait s'empêcher de jeter un regard humide. Interdit aux moins de
dix-huit ans. Comme je regrette cette époque où ce signe symbolique
n'était réservé qu'à quelques privilégiés et qui aujourd'hui
ferait rire un gamin nourri aux Saw et aux Hostel.
L’œuvre de David
Cronenberg aura officiellement ou non fait des émules, mais en tout
cas, comment ne pas voir en Rage, la forme embryonnaire
d'un autre classique de l'épouvante signé trois ans plus tard par
George Romero, Dawn of the Dead ? Il suffirait
juste de se remémorer ce passage où l'une des victime de Rose
attaque les passagers d'une rame de métro et placer cette scène tel
un calque au dessus de celle ou Roger, l'un des personnages de Dawn
of the Dead,
se fait attaquer par une petite horde de morts revenus 'à
la vie' pour
y voir un hommage.
Cette
année, Rabid
fête ses quarante ans, et l'on sait déjà qu'il aura droit à son
remake lui aussi. Prions pour que le projet tombe à l'eau. Car s'il
est manifeste que le film de David Cronenberg possède un certain
nombre de défauts, ceux-ci participent à cet étrange sentiment que
l'on a parfois d'être face à un document-vérité.
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