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lundi 16 octobre 2017

Portier de Nuit de Liliana Cavani (1974) - ★★★★★★★★☆☆



Je me rappelle ce lointain souvenir dans lequel, un soir, était venu se glisser sous la porte de ma chambre, le délicat parfum de l'interdit. Comme la plupart des enfants de mon âge, j'avais été invité à fermer les yeux, à m'endormir, et faire des rêves innocents tandis que les adultes veillaient jusqu'à une heure très tardive afin d'assister à ce qui allait devenir au fil des jours, des mois et des années, un fantasme de cinéphile inassouvi. Aujourd'hui, bien des années après, j'en suis à me demander ce qui a pu, à l'époque, pousser certains à classer X aux États-Unis, à censurer en Italie, ou simplement interdire aux moins de seize ans en France, Portier de Nuit de la réalisatrice italienne Liliana Cavani. Était-ce son imagerie nazie ? Ce très curieux hôtel qui arborait parfois les atours d'un bordel de luxe ? La nudité de son héroïne à peine parvenue à l'âge adulte ? Ou bien encore la relation que cette jeune femme juive allait entretenir plus tard avec celui qui fut son bourreau lorsqu'elle fut déportée du temps de l'occupation nazie ?
Même si les années ont effacé une bonne partie du potentiel dérangeant de la thématique évoquée dans Portier de Nuit, on devine les réactions du public face à un spectacle que d'aucun devait juger de déviant. Une relation sans doute incommodante et s'éloignant très largement des sentiers battus. Pourtant, Liliana Cavani ne s'évertuait pas à inscrire au panthéon des pires horreurs, son œuvre, aussi sulfureuse fut-elle.

Le portier de nuit de ce récit, c'est l'acteur britannique Dirk Bogarde, personnage qui, chronologiquement, avant de porter l'uniforme adéquat, endossa celui de nazi. Face à ce monstrueux conquérant génocidaire, une jeune femme, frêle... une enfant. Incarnée par la sublime Charlotte Rampling qui à l'époque, c'est à peine croyable, avait déjà tout de même vingt-huit ans alors qu'on lui en aurait prêté sans doute pas plus de quinze ou seize. De sa maturité amortie d'une bonne dizaine d'années, cela n'a sans doute pas empêché le public de voir en la relation qu'entretient son personnage d'abord contre son grès, ce que l'on ne nommait pas encore pédophilie. Adulte, Charlotte Rampling ? Indéniablement. Quant à Lucia Atherton, son incarnation, elle est d'abord aux yeux des censeurs, une enfant noyée au cœur d'un régime fasciste. Sa pureté ? Envolée, et avec elle ses illusions futures puisque d'épouse fidèle et intégrée dans la société (l'homme qu'elle épousera plus tard est chef-d'orchestre), elle deviendra la maîtresse esclave de Maximilian Theo Aldorfer, ancien nazi !
Lequel lui vola sa virginité. Lui fit goûter à des plaisirs charnels impropres à l'éducation d'une jeune fille de son âge. Lorsque l'un et l'autre se retrouvent à nouveau face à face en 1957, dans le hall d'accueil de l'hôtel où travaille le portier de nuit, c'est le choc. Différent de celui que connaîtront sept ans plus tard les anciens amants du chef-d’œuvre de François Truffaut, La Femme d'à Côté, mais tout aussi fort. Haine et amour. Attirance et répulsion. Difficile encore d'entrevoir la passion à venir dans ce décor chic sublimé par la photographie d'Alfio Contini. Si Liliana Cavani s'intéresse à d'anciens nazis cherchant par tous les moyens à faire oublier leur passé en éliminant tous les témoins, la réalisatrice italienne s'accroche avant tout à ces deux personnages. Une passion dévorante qui, à peu de chose près, et dans un cadre bien différent, ne s'éloigne pas tant que cela de la folie s'en prenant aux héros de La Petite Sirène de Roger Andrieux, avec Philippe Léotard et Laura Alexis. Une œuvre qui, peut-être davantage encore que Portier de Nuit, marque une frontière insolvable entre le monde de l'enfance et celui des adultes.

Avec les années, Portier de Nuit a perdu un peu de son caractère dérangeant. Mais en revanche, il a conservé et a même accentué une certaine forme de patine artistique. Charlotte Rampling paraît fragile et expose une beauté froide et enivrante. Dirk Bogarde assume un charme qu'il sublime davantage encore sous l'uniforme nazi que sous celui de portier de nuit. Moins outrée que l'amour et la mort ne pouvant se délier du cinéma d'un Andrzej Zulawski, la relation qu'entretiennent les deux héros pourra paraître aussi repoussante que sensuelle. Liliana Cavani s'autorise, de plus, quelques fulgurances aidées en cela par la magistrale partition musicale de Danièle Paris. Le danseur et chorégraphe italien Amedeo Amodio exécutant une danse devant un parterre d'officiers nazis et Charlotte Rampling chantant à moitié nue, toujours devant ces mêmes nazis dans un cabaret demeurent comme deux des moments forts de Portier de Nuit. Aujourd'hui, ce fantasme vieux de plus de trente ans est enfin assouvi. Débarrassé des craintes qui me semblaient fondées, je peux désormais me rendormir comme l'enfant que j'étais...

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